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Être autiste et sociable

  • moi
  • 5 juin
  • 6 min de lecture

Dernière mise à jour : 11 juin

La première fois qu'une psychiatre a évoqué la possibilité que je sois autiste, ma mère lui a répondu que j'étais très sociable. Encore aujourd'hui, régulièrement, on me dit que je ne correspond pas à l'image qu'on peut se faire de l'autisme. Je ne suis pas "dans ma bulle", je vais vers les autres et j'ai objectivement beaucoup d'interactions sociales, dans différents cadres. Pourtant, c'est bien sur la base d'un "déficit dans la communication et les interactions sociales" (selon le DSM-5) qu'on m'a diagnostiqué autiste. Et même s'il n'est pas forcément apparent, ce déficit existe et m'oblige à compenser au quotidien.


Les critères de l'autisme en terme de sociabilité


Avant d'expliquer plus en détail ce fonctionnement qui me rend "sociable", il me paraît utile de revenir sur les critères diagnostiques de l'autisme en matière d'interactions sociales et de communication. Car l'autisme ne se mesure pas au nombre d'amis ou à l'envie de la personne d'entrer en relation avec autrui. On retrouve trois critères dans cette partie de la dyade autistique (l'autre partie concernant les comportements répétitifs).


Déficit dans la réciprocité sociale et émotionnelle

Pour le premier, je peux citer mes difficultés à répondre correctement à une sollicitation. Parfois je ne comprends pas que je suis censée répondre si la question n'est pas explicite ou je ne comprends pas qu'il faut commenter une remarque pour marquer son intérêt. Je suis aussi souvent trop pragmatique si quelqu'un exprime une émotion, en cherchant par exemple une solution concrète alors qu'il serait attendu de simplement compatir. Cela génère des incompréhensions de la part des autres et peut me mettre à l'écart de certaines relations, surtout en groupe.


Déficit des comportements non-verbaux

Pour le non-verbal, j'ai à la fois des difficultés à l'interpréter chez les autres et à l'utiliser moi-même. Les médecins m'ont déjà fait remarqué que mon attitude souriante était totalement en décalage avec la gravité de mes propos. J'ai aussi des difficultés à moduler mon regard ou à regarder les gens dans les yeux. Je crois aussi ne pas forcément avoir une intonation de voix adaptée à la situation. Quant au non-verbal chez les autres, je ne comprends ni les sous-entendus (ce qui pose problème quand on me drague) ni le second degré. J'ai un problème de perception émotionnel qui m'empêche aussi souvent d'interpréter correctement les expressions faciales.


Déficit dans le développement, le maintien et la compréhension des relations sociales

Enfin, pour le dernier item, je peux avoir du mal à comprendre la nature de mes relations avec les autres. Il m'a ainsi fallu beaucoup de temps et des discussions un peu formelles avant de pouvoir décréter que j'étais amie avec quelqu'un. Je peux me lancer dans des grandes tentatives de catégorisations de mes relations, sans succès. Et en ce qui concerne le maintien des relations, je ne suis pas capable spontanément de prendre des nouvelles de quelqu'un juste pour maintenir un lien. J'ai pu aussi pendant un moment expliquer que je ne voyais pas l'intérêt d'avoir des amis car la dimension émotionnelle de la relation m'échappait complétement.


On voit donc toutes les difficultés que je peux rencontrer dans une relation sociale. Pourtant, rien de ce que j'ai énoncé n'empêche en soi d'être sociable. Il suffit "simplement" de savoir comment avoir des interactions sociales et d'y voir un intérêt.


Le masking, ma manière d'interagir presque normalement


De nombreux autistes parlent de "masking" pour évoquer les stratégies qui permettent d'interagir avec autrui. Le terme permet en effet facilement de saisir l'idée qu'une interaction est une forme de théâtre, où l'on agit selon des codes plus ou moins artificiels. Puisque rien ne me semble naturel dans une interaction, il me faut trouver un moyen à la fois de comprendre ce qu'il se passe et de me comporter de manière appropriée.


Imiter les autres pour agir comme tout le monde

C'est une stratégie qui peut sembler commune et assez évidente. Dis comme cela, on peut se dire que c'est loin d'être spécifique à l'autisme et qu'il s'agit tout bonnement de ce que tout le monde fait au quotidien. Il est vrai qu'imiter est sans doute à la base de l'apprentissage de la sociabilité. Mais dans mon cas, cela peut prendre des proportions bien plus importantes que ce qu'on envisage.

Dans mon cas, il ne s'agit de reproduire ce que j'ai vu faire par d'autres précédemment, mais bien d'imiter mon interlocuteur dès lors que je ne sais pas comment me comporter. Parfois, on remarque ainsi que dans un groupe, je fixe une personne que j'ai choisi comme référence. Je peux alors avoir tendance à copier ses déplacements et ses gestes notamment. Des personnes qui ne sont pas habituées ne vont pas le percevoir mais mes proches peuvent me faire la réflexion au bout d'un moment. Puisque j'ai du mal à prendre des décisions, de peur de passer pour étrange, je vais aussi suivre les décisions des autres, et répondre la même chose pour m'éviter l'angoisse d'un choix perçu comme inhabituel.

Globalement, mon imitation est une forme de tentative d'équilibre pour ressembler à ce que fait l'autre sans le copier à l'identique pour ne pas qu'il s'en aperçoive. C'est principalement utilisable en groupe et atteint vite ses limites avec de parfaits inconnus. Surtout, cela ne me permet pas de comprendre la situation sociale, simplement d'adopter un comportement approprié.


Se constituer un panel de situations pour tenter d'en comprendre une nouvelle

Si les relations sociales me paraissent souvent incompréhensibles, c'est que les réactions des autres n'obéissent pas à ma propre logique. Ainsi, je ne peux pas m'appuyer sur ce qui me semble naturel pour en déduire ce que pense, ce que ressent ou ce que va faire l'autre. J'ai pu en déduire que je ne comprenais pas les gens mais la réalité est légèrement plus complexe, heureusement. Disons que je considère que les relations sociales s'apprennent, un peu à la manière d'une langue étrangère. Il a des règles de base et surtout des exemples qui permettent peu à peu de saisir les subtilités et les spécificités.

Pour cela, j'ai la chance d'avoir une bonne mémoire. Inconsciemment d'abord, et maintenant de manière active, j'ai construit une sorte de base de données de situations sociales que j'identifie. Ainsi face à une nouvelle situation, je peux en extraire celle qui y ressemble le plus et en déduire à peu près correctement ce qui se passe. Alors évidemment au début, c'était peu précis, j'identifiais que mon interlocuteur était triste uniquement s'il pleurait par exemple. Ou alors mon panel était franchement déficitaire sur certains pans des relations humaines (typiquement les relations amoureuses) donc je passais tout à fait à côté de cette hypothèse. Mais plus le panel s'étoffe, plus les chances de tomber juste augmente. D'autant plus qu'il s'agit peu à peu de saisir les similitudes entre des situations pour en comprendre la logique et la reproduire. Grâce à cette technique, je sais aujourd'hui que je peux saisir correctement la majeure partie des situations quotidienne. C'est souvent un peu plus lent, moins intuitif et fatiguant mais je peux ainsi sociabiliser.


Quand les intérêts restreints poussent à tisser des liens


Quand on parle de sociabilité, on parle certes de la capacité à entretenir des relations sociales mais aussi de la volonté que l'on y met. Je pourrais avoir appris comment paraître comme tout le monde dans une interaction et ne pas chercher à entrer en relation. Et de fait, pendant longtemps, je ne voyais pas tellement l'intérêt de me faire des amis par exemple. L'attrait pour les relations sociales est venues paradoxalement à travers mes intérêts restreints.

On imagine souvent les intérêts restreints comme des signes de l'autisme qui isole, qui pousse à rester dans sa bulle et à se consacrer exclusivement à un sujet, qui plus est souvent inhabituel. C'est en partie vrai mais dans mon cas, plusieurs intérêts restreints m'ont poussé à aller vers les autres. Il ne s'agissait donc pas tellement de chercher à me faire des amis mais de trouver des personnes avec qui échanger sur ma passion du temps. Bien entendu, c'est plus simple quand il s'agit des derniers romans à la mode que d'algèbre linéaire mais dans les deux cas la démarche était la même. Le seul problème étant que cette relation s'arrêtait souvent dès lors que je me rendais compte que la personne n'était pas aussi passionnée que moi. Néanmoins, cela m'a poussé à me poser la question de comment entrer en relation et surtout d'en avoir l'envie, d'une manière ou d'une autre. Au point qu'aujourd'hui je considère possible d'avoir des amis, au-delà de mon intérêt restreint du moment.


Autisme et sociabilité ne sont donc pas antinomique. Vouloir tisser des liens m'a poussé à apprendre à le faire et cela n'a pu que renforcer ma volonté de sociabiliser. Bien sûr, l'autisme complique les interactions et je ressens au quotidien une conséquence que je n'ai pas évoqué : la fatigue permanente qu'implique cet effort de sociabilisation. Cela en vaut la peine mais cela reste un sujet à garder en tête et dont je reparlerais.


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